1er février 2016

Amanda Castillo

Le mentor, un tremplin pour réussir sa carrière


A la fois confident, conseiller, facilitateur et visionnaire, le mentor agit en véritable révélateur du rêve de son protégé. Un atout de taille pour développer son potentiel caché

Le sculpteur Michel-Ange disait que lorsqu’il regardait un morceau de marbre, il voyait très clairement la forme qui allait en sortir. Son travail ne consistait qu’à révéler cette forme aux autres. Le «phénomène Michel-Ange» est aujourd’hui observé par les chercheurs en psychologie et décrit l’action d’un individu qui influence, qui «sculpte» un autre individu. Au travail et dans la vie en général, un mentor est un précieux tremplin pour réussir. A cet égard, certains illustres personnages ne doivent leur destinée exceptionnelle qu’à l’intuition perspicace et prémonitoire d’un ami ou professeur bienveillants.

Ainsi, en 1890, l’écrivaine féministe Gertrude Stein était une étudiante «un peu boulotte et sans grâce qui arrivait en retard aux cours, n’avait pas l’air de comprendre de quoi on parlait, faisait des fautes d’orthographe, et n’avait aucune notion de latin», écrit James Hillman dans «Le code caché de votre destin». Pourtant, son professeur William James ferma les yeux sur sa copie blanche d’examen, lui donna une bonne note pour la session et l’aida en dépit du bon sens à suivre des études de médecine à l’institut Johns Hopkins.
Comment expliquer ce comportement défiant toute logique? La raison en est simple: William James ne s’arrêta pas à ce que Gertrude Stein était entrain de faire mais eut la vision de ce qu’elle deviendrait un jour. «Il avait décelé quelque chose d’unique chez cette élève, qui ne deviendrait pourtant la romancière à succès que dix ans plus tard», analyse James Hillman.

Passion singulière
Avant de devenir le célèbre naturaliste anglais que le monde entier connaît, Charles Darwin était considéré comme la «honte de la famille». Mauvais en latin, en grec et en mathématiques, il n’excellait que dans un seul domaine: ramasser des coléoptères dont il faisait de belles collections. Cette passion singulière attira cependant l’attention de son maître d’école John Henslow qui suggéra, en 1831, que l’on engage Darwin comme naturaliste à bord du Beagle, un bateau sur lequel il voyagea autour du monde. La suite appartient à l’histoire.

A 14 ans, Truman Capote se traînait encore par terre et donnait des coups de pied à la moindre contrariété. Recalé en français, en algèbre et en espagnol, sa mère l’envoya trois mois à l’école militaire d’Ossining, surnommée Sing Sing, à New York. C’est là qu’intervint Catherine Wood, le professeur de lettres qui se donna pour mission d’aider l’adolescent à déployer son talent d’écriture. Miss Wood l’invitait souvent à dîner, lisait les nouvelles qu’il écrivait, s’adressait à lui en classe et encourageait ses camarades à faire de même. Elle plaidait également sa cause auprès des autres enseignants pour les inciter à l’indulgence dans les matières où il était faible. «Sa mère ne comprenait pas ce garçon aux goûts si éclectiques, expliqua-t-elle des années plus tard. Je me souviens de lui avoir dit dans ma petite salle à manger que dans les années à venir, les autres garçons qui se conduisaient correctement et qui faisaient ce qu’on attendait d’eux continueraient leur petit bonhomme de chemin alors que Truman serait célèbre.»

« Le talent de mentor se met en œuvre dès que l’esprit tombe amoureux de la vocation de quelqu’un d’autre. »

En quoi consiste ce don de perspicacité? «Le talent de mentor se met en œuvre dès que l’esprit tombe amoureux de la vocation de quelqu’un d’autre», explique James Hillman. A 17 ans, Arthur Rimbaud trouva ainsi son âme sœur en la personne de Georges Izambard, son jeune professeur de rhétorique de 21 ans, fasciné par le talent précoce, la détresse et l’originalité de l’adolescent. Pendant l’été 1870, celui-ci lui prêta la clef de sa chambre afin qu’il puisse s’enfermer avec ses livres dont la plupart, bien qu’honnêtes, étaient censurés dans le foyer Rimbaud.

Croire au potentiel caché de l’autre
En définitive, il ressort de l’analyse de ces trajectoires extraordinaires ce qui suit: le plus beau cadeau qu’une personne puisse faire à une autre, c’est de croire en son potentiel caché, invisible. Car si la vocation est toujours là, il faut parfois quelqu’un pour la percevoir, pour qu’elle puisse prendre corps. Quelqu’un qui ne s’arrête pas à ce que l’on est mais qui a la vision de ce que l’on peut devenir. «Etre, c’est être perçu», disait le philosophe irlandais George Berkeley. Dale Carnegie remarque de son côté que «si nous savons révéler leurs trésors cachés à ceux qui nous entourent, nous ferons beaucoup plus que les influencer ou les stimuler. Nous les ferons progresser et se métamorphoser».

Dans le monde du travail, certains managers seraient bien inspirés de prendre exemple sur ces illustres mentors. Les chefs en particulier qui se sentent menacés par les compétences de ceux qu’ils gèrent et qui craignent pour leur place ne développent pas assez le potentiel de leurs collaborateurs et, au final, celui de l’entreprise. «Ces managers en position de rivaux sont de mauvais leaders qui attribuent les échecs de la compagnie au stress ambiant ou à un employé sans jamais se remettre en question», analyse la consultante en management Fanny Bauer-Motti.

Des managers «durs et cassants»
Les managers insécures freinent le talent et l’évolution professionnelle de leurs collaborateurs à travers une multitude d’attitudes: ils reprennent leurs mails et s’arrangent pour toujours être «en copie». Ils leur laissent peu la parole ou les remettent en question lors des réunions où les dirigeants sont présents. Ils s’attribuent les réussites de leur équipe lors de leur narration à un public quelconque. Ils réprimandent leurs collaborateurs sur des détails mineurs tels que leur écriture, leur tenue ou leurs tics langagiers. Enfin, lorsque les collaborateurs cherchent guidance et conseils auprès d’eux, au lieu de jouer au mentor bienveillant, ils les prennent de haut.

«Plus la personne est compétente, plus ils deviennent durs et cassants», analyse Fanny Bauer-Motti en déplorant que ce type de profil soit très répandu dans les entreprises. «La société nous a enseigné une fausse donne, ajoute-t-elle. Nous avons intégré, pour la plupart d’entre nous, que les places de la réussite sont limitées. (Mais) il n’y a pas qu’un seul chemin qui mène à la réussite, ni qu’une seule place. Le cadre de toute réussite existe et se délimite en premier lieu par celui qui se le construit.»